TOKOTANY
PRIMO MARELLA GALLERY . MILAN . ITALIE
2025
Toko : un tas
tany : la terre
Tokotany : la cour
Tokotany est le terme malgache qui désigne un extérieur, la cour commune d’un ensemble d’habitations, une aire adossée à une construction. Un espace libre situé au sein d’un ensemble d’architectures, un terrain, une cour … une terre.
Imaginons que ce terrain vague soit une géographie malgache d’un autre temps, dans un regret mélancolique et nostalgique.
Là, à cet endroit précis où les jeunes âmes d’un même voisinage se croisent, causent, socialisent et partagent des jeux.
Tokotany est de fait un point de rencontre et un lieu de rendez-vous. En côtoyant le tokotany, on va à la rencontre de l’autre, à la découverte de l’autre. Puis on peut témoigner pour cet autre que soi un autre intérêt : une attention, de l’amitié ou même de l’affection. Grâce à un geste, un souffle, une parole ou un regard, un simple compagnon de jeu peut devenir un complice, et c’est dans cette subtilité à la fois intense et fragile que le tokotany se transforme en un terrain de jeu de tous les possibles…
Des gestuelles de tous les possibles, des instants de tous les possibles, des visions de tous les possibles qui convergent pour faire et défaire les liens, jusqu’à laisser des traces dans la mémoire de plusieurs générations …
C’est autour de cette idée engagée sur le terrain de jeu de tous les possibles que Joël Andrianomearisoa a choisi de placer ce nouveau corpus de travail qu’il présente dans Tokotany, sa cinquième exposition personnelle à la galerie Primo Marella Milan. Des inspirations profondément malgaches qui s’accompagnent des mots du Monde. Un projet qui rend hommage à toutes les premières fois – sous toutes les formes acquises – et qui ne jure que par la découverte. Des gestes qui s’apparentent à la certitude mais toujours sous la tension permanente de l’expérimentation.
Dans son approche, l’artiste a choisi, les mots, le textile et des textiles, l’huile et le métal pour retranscrire des narrations inspirées par ce terrain de jeu, Tokotany. Nous sommes ici face à ses médiums de prédilection – faisant partie de
son langage artistique – soigneusement recomposés à travers ce nouvel opus à l’occasion de cette nouvelle exposition.
Dès l’entrée, ses mots en langue malgache sont présents avec son graphisme assumé, noir et tranché. Un manifeste pour invoquer Madagascar, son terrain de jeu de sang mais surtout pour fabriquer à partir de cette affirmation identitaire d’autres imaginaires au-delà des frontières … tous les possibles. Le plan se poursuit avec un grand nouveau chapitre textile, Le terrain
de jeu de tous les possibles, acte central de l’exposition. C’est dans ce chapitre que Joël Andrianomearisoa réinvente l’espace, questionne l’autre et nous livre sa vision du terrain de jeu idéal. Là il insiste sur la notion de toutes les possibilités sans genres, sans limites et sans fin.
D’une part une impressionnante installation composée de vingt textiles grèges qui sont envahies par des lignes d’huile noire. Des traits, des écritures et des ratures nerveuses sur la toile. Un tableau de bord démesuré qui rappelle vaguement une manière élémentaire de comptabiliser les points gagnés lors d’un jeu. Sur cessurfaces, Joël Andrianomearisoa y posent ses mémoires, ses peines, ses affirmations et tous ses espoirs. Les espoirs pour arriver à construire ce terrain de jeu idéal de tous les possibles. À noter que cette installation a été produite et montrée en 2024 au HKW / Haus Kulturen der Welt à Berlin dans le cadre de leur saison Ballet of Masses. D’autre part des pièces textiles imposantes aux teintes naturelles de
lin parfois tranchées par des nuits de noir. Une chromie qui fait référence aux conditions matérielles du Tokotany, un environnement habituellement poussiéreux car il est souvent constitué d’une surface en terre battue. Des oeuvres qui sont volontairement répétitives tant dans leur construction que dans leur présentation. Les lames d’étoffes brunes et noires qui filent et défilent sans fin, ici pour ne jamais en démordre, ici pour persister, ici pour s’obstiner sur l’importance d’un
terrain de jeux dans notre société. Ici, Joël Andrianomearisoa insiste avec la force et la grandeur de sa matière sur sa vision d’un monde ouvert à tous les désirs et toutes les convictions.
La conclusion de l’exposition se fait avec des mots, cette phrase poétique de Joël Andrianomearisoa gravée dans le métal.
Ici nous sommes face à une stèle où il est question non seulement d’architecture, de par la forme comme si cette sculpture était une maquette de monument à poser sur des terrains … de jeu, mais aussi de poésie et d’émotions
avec cette ouverture et universalité à travers ce choix affirmé de l’anglais comme langue d’expression.
Dans une association de mots et de matières, sur une note d’architecture et à partir d’une tentative picturale, Joël Andrianomearisoa qui navigue entre pensée poétique et pensée radicale, marque sans équivoque les tensions émotionnelles des récits du terrain de jeu des tous les possibles … des émotions qu’il tente de matérialiser et de faire exister dans l’incertitude de notre réalité.
Rina Ralay-Ranaivo, février 2025.