LES SAISONS DE MON COEUR
SABRINA AMRANI GALLERY . MADRID . SPAIN
2017

Joël Andrianomearisoa emprunte le titre Les saisons de mon cœur à un poème du livre Pétales de l’écrivain, poète et critique malgache Elie-Charles Abraham, militant de la nostalgie qu’il a sûrement ressentie lors de son exil en 1940. C’est à ce moment-là qu’il a écrit cet ouvrage de poésie dont chaque partie correspond à une saison de l’année. On peut noter qu’il a écrit ces poèmes en français, lorsque Madagascar était encore une colonie française. Ils évoquent avec nostalgie la ville d’Antananarivo occupée par les français, et parlent de séduction et de sentimentalité. Abraham dépeint la vie comme des pétales de fleurs, délicates et qui changent en permanence selon la saison, réactives à l’obscurité et au temps. L’exposition Les saisons de mon cœur est en deux parties : la lumière et le temps. La première partie présente des œuvres textiles connues d’Andrianomearisoa, une évolution de ses séries en papier de soie : The Labyrinth of Passions (Le labyrinthe des passions). Pour cette nouvelle collection, Andrianomearisoa revient sur sa technique de labyrinthes à répétitions et à accidents, afin de créer des représentations des quatre saisons imbibées de l’essence de sa pratique. 

Méticuleusement cousues à la main, faites de textiles sophistiqués et ordinaires récupérés, ces œuvres sont attachées comme des tableaux à une structure, et connectent les niveaux inférieur et supérieur de la galerie, La structure – qui nous rappelle la formation d’architecte de l’artiste – accapare l’espace de la galerie et le transforme en un corps sillonnée de veines : les veines de la vie et du temps. Cette annonce nous portera à travers des paysages aux différents horizons dans une promenade qui est la vie elle-même, et qui mène au niveau inférieur de la galerie, là où la deuxième partie de l’exposition se révèle.

© Sabrina Amrani gallery

La deuxième partie de l’exposition Les saisons de mon cœur surprendra ceux qui connaissent l’approche d’Andrianomearisoa. Dans nos propres vies, nous devons briser certaines choses et sortir de notre zone de confort afin d’avancer. De façon identique, l’artiste explore ce qui se passe dans l’espace entre l’aller et le retour. Au sous-sol de la galerie, Andrianomearisoa se sert d’un langage nouvellement découvert pour déployer les véritables saisons de son cœur, les différentes périodes de sa vie, les reflets de moments personnels. Ils deviennent une œuvre d’art à travers un nouveau support dans la pratique de l’artiste : la broderie. La temporalité de ses broderies a permis une réflexion profonde pendant leur production. Liée à la métaphore des saisons, elle représente aussi l’obsession et la passion, en lien avec l’Art brut et l’artiste marginal Jules Leclerq qui, après avoir été interné dans un hôpital psychiatrique, commença à collectionner des fils et des bouts de tissus quand il travaillait dans la blanchisserie. Plus tard, il a fabriqué des broderies complexes et baroques dans l’isolement de sa cellule.

Les cinquante broderies qui forment la deuxième partie des Saisons de mon cœur racontent une histoire où le temps est considéré comme une ligne infiniment changeante, avec des paysages, un coucher du soleil à couper le souffle, les vagues de l’océan ou le manteau de neige de la montagne. Mais ce qui nous surprend sont les couleurs vives choisies pour créer ces broderies, une nouveauté dans l’art d’Andrianomearisoa. Tout comme Allighiero e Boetti avec ses azzaris et ses mappas, Joël a conçu ces œuvres, mais a laissé aux brodeuses de son studio à Madagascar le soin de sélectionner et de coordonner les couleurs des fils récupérés afin de créer une esthétique aléatoire pour chaque pièce.

Les saisons de mon cœur d’Andrianomearisoa détaille les différents battements de nos cœurs, traduit l’écriture de nos propres vies et appelle davantage à être ressenti que compris. Il raconte une autre histoire de la nouvelle vie et du nouveau travail de l’artiste, et les nouvelles matières dont il se sert dans sa vie nouvellement trouvée : l’arbre mort de cette nouvelle vie.